Bertrand Saint Georges Chaumet

Poème de
Bertrand Saint Georges Chaumet

Un brin d'éternité

Dans le chant des oiseaux et la nacre des rires
Et les reflets du vent dans la danse des blés,
Le silence d'un champ de soleil accablé
Et le doux clapotis dont l'assoiffé délire ;

Dans les larmes perlées aux yeux bleus d'un sourire,
Et le toucher soyeux des tendres caressées,
La douceur d'un regard et le goût d'un baiser
Et la soif étanchée à l'aune du plaisir ;

Dans la quête de l'heure où se cueille la vie
Qui se fait de l'enfant la douce sentinelle ;
Dans l'émerveillement du devenir en elle
Et dans le noir soleil où s'apaise l'envie ;

A la vue d'une fille au corps harmonieux,
Dans les yeux d'un enfant qui écoute une histoire,
Et dans la nostalgie d'un violon le soir
Qui fait danser les jours où nous étions heureux ;

Dans les gestes d'un corps qui chante la beauté
Et qui mieux que la voix murmure le désir,
Le duo des étoiles, habile à raconter
Les caresses de l'âme à l'orée du plaisir ;

Dans l'émerveillement d'un jeune béotien,
Devant une œuvre d'art, un tableau ou un marbre,
Dans l'amour échangé entre un maître et son chien,
Et, du vieux forestier, le soin jaloux des arbres ;

Dans la complicité des enfants et des bêtes,
Cet échange des yeux qui disent mieux que mots
Combien la nostalgie du Paradis nous guette,
Quand l'homme était l'ami de tous les animaux ;

Dans l'antique appétit de la chair et des proies,
Qui, au ventre, investit le chasseur et l'amant,
Et dans la volupté du désir qui s'accroît
Quand le gibier échappe à la main qui se tend ;

Dans l'éblouissement des amours enfantines,
Pour cette fille-là, qu'on aima la première,
Et que l'on croit, bien sûr, que le sort vous destine,
Comme le papillon promis à la lumière ;

Dans l'aveu de l'amour aux lèvres d'une fille,
Et dans le tremblement des corps qui se rejoignent,
L'espace d'une danse, où leurs rêves défilent,
Avant qu'au creux d'un lit, leur doux tourment se soigne ;

Dans une symphonie étincelant de joie,
Dans le son d'un violon où perce la tristesse,
Et dans ces mélodies qui sonnent au fond de soi
L'hallali du malheur avant qu'il disparaisse ;

Dans l'attente, la nuit, du passage des bêtes,
Du murmure des feuilles au moindre bruit qu'on guette,
Dans l'apparition au détour d'une allée
D'un chevreuil ou d'un cerf, de lune auréolée ;

Dans la contemplation d'un ciel qui va mourir,
Du murmure argenté que chantent les étoiles,
Et sous le baldaquin où elles tissent leur toile,
De la belle filante au bref éclat de rire ;

Dans l'éclaboussement des plumes de lumière
Qui voltigent autour des grands arbres penchés,
Sur les bords d'un torrent où ruissellent les pierres
Où vient boire la bête, et l'oiseau s'étancher ;

Dans le chant du clairon où frissonne la guerre,
Dans la rage de vaincre au bord de l'abandon
De tous ceux qui combattent et pourtant n'y croient guère
Quand ils savent qu'en face il n'est pas de pardon ;

Dans le doux souvenir de nos jeunes années
Ou le regret soudain des amours défaites
Que réveille un refrain ou un bouquet fané,
Et la mélancolie des lendemains de fête ;

Dans les rires d'enfants et le chagrin des mères,
Selon que va la vie, aux humeurs incertaines,
Ballottée comme nef au caprice des mers
Mais dont les courageux sont toujours capitaines ;

Dans les mains qui se joignent à l'heure de l'amour,
Dans les yeux d'un gamin où le rêve étincelle,
Dans la peine entrevue, emmitouflée d'humour
Mais qui perle au regard de celui qui chancelle ;

Dans le tocsin du cœur qui suffoque de peine
Au bord d'un lit d'enfant où s'essouffle la vie,
Dans la passion de l'un qui délire d'envie,
Alors que l'autre est sourd à la douce rengaine ;

Dans les traits chiffonnés et la figure de cendre
De celui qui, déjà, sait le bout du chemin,
Mais qui n'a pas encore accepté de descendre
Et pour la galerie, rêve de lendemains ;

Dans les yeux où s'éteint l'étincelle de vie,
Murmure d'un regard à l'approche de l'heure,
Quand vacille le temps, et le jour s'assombrit
Et que nous assourdit son ultime douleur ;

Dans le béguin des mots, le bouquet des odeurs,
Dans la splendeur d'un lys, prince d'un terrain vague,
Dans le bruit du silence et le chant des couleurs,
Et le berçant refrain du froissement des vagues ;

Dans toutes ces passions, dans toutes ces beautés,
Ces milliers d'émotions qui font notre bonheur
Ou notre peine à vivre, avant qu'arrive l'heure,
J'ai surpris, chaque fois, un brin d'éternité !